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Sommaire

La période de 1878 à 1928

La période de 1928 à 1960

La période de 1960 à 1989

A partir de 1989

                          La gare d’Apach : son histoire

 

 La gare d’Apach, comme bien des gares-frontières, bénéficie d’une renommée qui va bien au-delà de l’Hexagone. Cette gare, qui ne fut qu’une modeste station lors de l’ouverture de la ligne Thionville – Apach –Trèves en mai 1878, a vu transiter un nombre incalculable de trains et des tonnes de marchandises.

  La période de 1878 à 1928

 L’histoire du chemin de fer à Apach débute dans le contexte historique de l’annexion de la Moselle à l’Allemagne ; cette annexion consécutive au traité de Francfort du 10 mai 1871 allait durer jusqu’à la fin de la guerre 14-18. Dans la perspective de relier les villes de Metz, Thionville, Coblence et Berlin, le Reich ordonna une enquête d’intérêt public pour la construction de la ligne Thionville-Apach-Trèves ; l’autorisation fut délivrée par ordonnance impériale le 18 février 1874. La ligne à voie unique fut inaugurée le 15 mai 1878 ; la double voie, pour des raisons budgétaires, n’intervint qu’ en 1895.

 Deux gares seulement avaient été prévues pour desservir la ligne Thionville - Apach : la gare de Sierck (achevée en 1878) et Koenigsmacker (achevée en 1879) ; Basse-Ham, Malling et Apach étaient de simples stations où  ne s’arrêtaient que quelques trains voyageurs- omnibus.

                                 

             Apach                                              Sierck Les Bains 

                 

                        Koenigsmacker                                                                        

 En 1878 la gare d’Apach n’est donc qu’une simple station qui gardera son statut durant un demi-siècle.

  À titre de comparaison, la première gare de Thionville-Beauregard était déjà en service depuis 24 ans (1854).

 

             Beauregard

La période de 1928 à 1960

Lorsque le trafic se développa en gare de Sierck chargée des formalités douanières, une gare exiguë et sans possibilité d’extension, le projet d’une grande gare vit alors le jour à Apach. L’on construisit des bâtiments aptes à abriter de nombreux  bureaux ; l’infrastructure composée des faisceaux pair et impair (restée quasiment inchangée depuis) permettait de faire face à un trafic dense.

                                          

                            La nouvelle gare d’Apach fut inaugurée le 5 mars 1928.

  Le chemin de fer était alors exploité par la Compagnie de l’Est. La SNCF ne sera créée que le 1.01.1938.

  Les installations de la gare

  La gare comporte 2 faisceaux situés de part et d’autre des voies principales :

                                         

·        Le faisceau pair, relié à la bosse de débranchement, est formé de 19 voies ;

Entre les voies 8 et 10 un quai permet les visites des trains de fruits et légumes.

·        Le faisceau impair comporte 10 voies, donne accès au chantier de réparation (aujourd’hui disparu) et aux voies de débord.

 

 

 

                                               

                                         Le bâtiment  voyageurs (B.V.)  

Ce bâtiment était situé à l’origine sur le quai 2. Entièrement détruit par faits de guerre, le B.V. a été transféré dans le bâtiment actuel situé sur le quai 1 et aménagé à cette fin. Il comporte le bureau du chef de service, le bureau des billets (aujourd’hui supprimé) et la salle d’attente.

 

Les postes d’aiguillage

 

Les 3 postes d’aiguillage construits en 1928, endommagés durant la deuxième guerre mondiale étaient des postes de type ex-Al.

Le poste 1, reconstruit en 1959 est un poste électro-mécanique de type 45 ; il commande l’entrée et la sortie des trains côté Thionville.

                                             

Le poste 2, reconstruit la même année, du même type, commande l’entrée et la sortie côté Perl.

Le poste A, un poste de concentration à leviers libres, implanté en tête du faisceau impair, n’est occupé qu’à la demande. Poste d’origine.

 

Le bâtiment administratif

                                                      

 Les bâtiments de la gare construits en 1928, détruits pendant la guerre, furent d’abord remplacés par du provisoire en attendant la construction d’un grand bâtiment terminé en septembre 1959. Ce sera le bâtiment administratif qui sera le siège de la future gare commune.

 

L’événement marquant de cette période : la guerre 1939 – 1945

 

Uune décennie s’écoule avant que la deuxième guerre mondiale n’éclate. La gare, un site évidemment stratégique, est bombardée durant les hostilités. Les dégâts sont importants et les conditions de travail dans des bâtiments provisoires, difficiles pour l’exploitation de la gare, demandent courage et abnégation.

  Après la guerre, la Douane française rétablissait ses services le 1° avril 1945. La gare d’Apach redevenait gare douanière.

  Concernant la douane allemande, en raison du statut particulier de la Sarre, le cordon douanier était établi entre la Sarre (Nennig) et la République fédérale d’Allemagne (Wincheringen). Le 31 décembre 1959, l’Union économique franco-sarroise était dissoute et le territoire de la Sarre rattaché au point de vue économique et douanier à la RFA.

   

La période de 1960 à 1989

Une gare commune SNCF/DB

  Pour faciliter les échanges entre la France et l’Allemagne , ces pays signent une convention pour la création d’une gare commune. C’est une nouveauté. Cette convention fixe :

-         Les installations de la communauté et celles à l’usage exclusif de chaque administration ;

-         Les prestations à effectuer pour la communauté ;

-         Le coût de ces prestations et les modalités de répartition des dépenses ainsi que toutes les modalités relatives à l’exploitation de la gare commune.

   

Le 17 janvier 1960, la gare d’Apach devenait une gare internationale franco-allemande.

  L’aile côté Perl du bâtiment est occupée par les administrations ferroviaires. La SNCF a pris ses quartiers au rez-de-chaussée : le bureau du chef de gare et son secrétariat, ainsi que le bureau du matériel ont vue sur la voie ; les grands bureaux de l’agence en douane où règnera une activité intense et spécialisée donnent sur la rue. Le bureau marchandises (appelé de nos jours bureau fret) communique avec l’agence.

La DB s’installe au premier étage.

  L’aile côté Sierck est réservée aux services douaniers et phytosanitaires français et allemands. Les douaniers voisinent avec la SNCF au rez-de-chaussée ; les douaniers allemands, au premier étage travaillent aux côtés de leurs collègues de la DB.

Le deuxième étage comporte une salle de conférence, des locaux d’archives et des bureaux.

                              

Depuis la création de la gare commune, ces locaux ont été complétés par un bâtiment situé sur le quai 2 et comportant une salle de visite douane et les bureaux des services de police et douane français allemands.

   

Les événements marquants :

  ·        L’électrification de la ligne en  25 kV en 1960

  Les caténaires, véritable toile d’acier, donneront à la gare le cachet de la modernité. L’électrification entraînera le remplacement des machines à vapeur par les fameuses machines électriques BB12000 et CC14000. Les machines à vapeur disparurent :  on  pouvait cependant  voir quelques machines à vapeur allemandes jusqu’en 1962.

               

·        La construction du triage de Woippy en 1963 

 

Dans le sens import et jusqu’à la mise en service du triage de Woippy , la gare d’Apach préparait des trains pour différents triage du réseau. Un diesel opérait en permanence ; deux dans les périodes chargées : l’un côté P1, l’autre côté P2. Par la suite, l’intervention sur ces trains se réduisait au retrait des wagons en souffrance douane et des wagons réformés nombreux à cette époque , l’adjonction des expéditions du trafic local et des wagons sortant du chantier de réparation.

   

·        La canalisation de la Moselle en 1964 entre Thionville et Coblence

  La Moselle canalisée avait pour vocation naturelle le transport des pondéreux ; en conséquence, les nombreuses rames de coke se raréfièrent et disparurent quasiment du trafic ferroviaire. Canalisation de la Moselle

 

   

Une gare de triage mouvementée

 

 Un des points sensibles de la gare a été le tri des trains du régime accéléré dans le sens export. Les trains de primeurs, essentiellement  en provenance d’Espagne, destinés aux grandes villes d’Allemagne et des pays nordiques, devaient être acheminés impérativement dans des délais très courts pour alimenter les marchés du lendemain. Ces trains comportaient également un trafic très important de voitures automobiles.

Les opérations de tri, délicates lorsqu’il s’agissait de denrées périssables ou fragiles, demandaient un savoir-faire qui ne s’acquérait qu’à l’expérience. Un gros diesel, de type AIA 62000, tirait les rames à la butte de débranchement, d’où les wagons redescendaient, isolés ou en groupe, pour former des lots A,B,C,D,…selon une liste établie par les agents de la Deutsche Bundesbahn.

Ces tâches demandaient à l’aiguilleur du poste 1 du sang-froid et de la concentration.

  De la passerelle qui enjambe la gare, le tri offrait le spectacle d’un vaste puzzle en reconstitution. Les agents de manœuvre , un personnel pour la plupart originaire des localités d’Apach, de Montenach, Sierck, Rustroff, Rettel, Contz, détenaient une compétence largement reconnue. Cette main-d’œuvre du cru a été complétée à une certaine époque, nécessité oblige, par des apports extérieurs, en particulier des Bretons et aussi des gens issus du Magreb, qui, confrontés au bilinguisme ambiant, durent s’adapter avec bien du mérite.

  Notons que la convention de la gare commune prescrivait à l’aiguilleur du Poste 2 de communiquer en langue allemande avec ses collègues de la gare de Perl.

  Le chef de service, coiffé d’une casquette blanche étoilée, chargé de la coordination de l’ensemble, entouré d’une équipe d’agents basée au B. V. (Bâtiment voyageurs)  se déplaçait presque en permanence  pour la nécessaire liaison entre les différents services.

   

L’agence en douane SNCF

  D’aucuns disaient, sous forme de boutade, que l’agence était un État dans l’État, tant la fonction spécialisée des déclarants en douane s’éloignait des tâches traditionnelles du cheminot. La collaboration des déclarants SNCF avec les douaniers était permanente : aucun wagon ne pouvait quitter la gare sans l’autorisation de l’administration des douanes.

Une étape importante est franchie en 1979 par la mise en place de la procédure accélérée de dédouanement par bordereau de déconsignation. Cette procédure permit de créer des trains d’interpénétration de triage à triage, toutes les opérations douanières étant effectuées pendant le stationnement du train en frontière. Ce fut un progrès significatif pour les acheminements.

 Un personnel hétérogène

 Après la deuxième guerre mondiale et durant les années d’expansion qui ont suivi, on pouvait compter approximativement 150 cheminots français du service exploitation ( 200 avec le service des visiteurs, service entretien et équipement), 40 cheminots allemands, 30 douaniers français et allemands; si l’on y ajoutait le personnel sous-traitant,  les agents de train et les mécaniciens occupant momentanément le foyer, les transitaires appelés à se déplacer dans les voies,  cela  représentait beaucoup de monde dans l’enceinte du chemin de fer. 

Ces effectifs ont fondu progressivement au cours du temps, au gré de la modernisation et des restructurations. En 1986 l’effectif de la gare était encore de 100 agents. L’avènement de la libre circulation des marchandises entraîna le report des opérations douanières sur le site de Woippy. Ce fut un épisode  pénible que les cheminots n’acceptèrent pas de gaîté de cœur. La gare d’Apach perdait ainsi,  à la date du transfert en juin 1989,  40 agents d’un seul coup. L’épopée de la gare commune avait vécu. La gare tournait un chapitre important de son histoire : une période de près de 30 ans. 

La halle à chevaux…

 La gare d’Apach était réputée pour sa halle à chevaux. Cette halle fut d’abord conçue pour le traitement des petits colis, agrès et bâches, une branche d’activité qui fut confiée au Sernam en 1970.

  Le trafic des animaux vivants, surtout celui des chevaux en provenance de Pologne, a marqué les mémoires.  Des milliers d’équidés ont transité d’abord par wagon de bout en bout, puis après 1970 par camions jusqu’à la halle et départ en wagons. Il était primordial que ces pauvres bêtes, souvent pour leur dernier voyage, fussent traitées aussi bien que possible. L’on se souvient encore que Brigitte Bardot, grande militante de la cause animale, vint sur les lieux et constata que le transport en wagons était encore la solution la mieux adaptée.

Il arrivait pourtant, de temps à autre, qu’un cheval ou un taurillon épris de liberté, s’égaillât dans la nature. C’était alors un branle-bas de combat pour ramener le fugitif au bercail. L’impossible fuite se terminait très rarement  par une collision ferroviaire.

  Il y avait également un trafic régulier et plus calme de génisses d’élevage en provenance du Danemark pour l’Espagne.

   

La circulation d’un train de taurillons était aussi un événement en soi. L’opération cruciale était l’abreuvement de 500 à 800 taurillons dont certains se mettaient à beugler en signe d’impatience. Ces trains de 25 à 35 wagons étaient accompagnés de deux ou trois palefreniers chargés de la surveillance des animaux, logés dans un des wagons, dormant à même le sol dans la paille à côté des bêtes. Il leur incombait de remplir les fûts de 200 litres placés dans chaque wagon dans un délai qui leur était compté. La réserve du château d’eau alimentant la gare diminuait de façon significative. Il est même arrivé qu’il fallût avoir recours aux sapeurs-pompiers d’Apach pour le bon déroulement de cette opération.

  Les trains militaires

  Le stationnement des FFA (Forces Françaises en Allemagne) dans la région de Trèves généra un trafic important à la fois « voyageurs » et « marchandises ».

  Les vendredis après-midi la place de la gare était noire de monde, et la salle d’attente trop exiguë pour contenir ces régiments entiers de militaires en permission. Même si les billets étaient établis pour une grande part à l’avance, il y avait toujours une telle affluence le jour du départ que le guichetier perdait parfois son sourire.

L’ambiance était particulière ces jours-là. Le calme durait le temps de l’embarquement, mais le train à peine démarré, l’on entendait souvent des cris et des agitations de jeunes gens un peu excités, signe manifeste d’un défoulement après de longues semaines de discipline et de  contrainte.

Le retour  avait lieu la nuit du dimanche au lundi : un retour dans le plus grand calme à la caserne.

  Plusieurs fois dans l’année, et à des périodes régulières, le départ en manœuvres des régiments basés dans le secteur de Trèves donnait à la gare un cachet à la fois spectaculaire et impressionnant. Le vrombissement d’une interminable colonne de chars AMX 10 chenillés,  précédée de quelques jeeps s’entendait de loin. Un Q.B.D. (quai en bout démontable) permettait l’embarquement des chars  directement sur les wagons spéciaux avec une rigueur toute militaire. Le sérieux et l’habileté des jeunes appelés suscitaient alors respect et admiration.

 

Les opérations de débarquement se déroulaient dans les mêmes conditions lors du retour, trois semaines plus tard.

 

Mais le retrait programmé des FFA d’Allemagne se concrétisa en 2002 ; le trafic militaire périclita.

   

La période à partir  de 1989

   

 Apach, gare-bois

 

Les tempêtes de 1990 provoquèrent des dégâts catastrophiques dans les forêts de la région. Il fallait évacuer le chablis pour faire revivre la forêt. La gare d’Apach, très bien située géographiquement, sut saisir cette opportunité. Un trafic volumineux, qui devait durer une demi-douzaine d’années, redonna à la gare une activité forte.

Il y eut d’une part un trafic de copeaux, en wagons isolés ou en trains complets pour la région parisienne. D’autre part des wagons et des trains complets de bois, hêtres et résineux essentiellement à destination de l’Italie. La gare était devenue rapidement un vaste chantier forestier et il fallut mettre en place toute une organisation pour faire face à ce trafic nouveau et permettre à un maximum de chargeurs d’obtenir satisfaction. La gare était saturée et dans la cour de débord les déchets forestiers jonchaient le sol sur trente centimètres. Ce type de transport nécessitait une rotation du matériel vide sans faille qui mit la gare fortement à contribution. La tâche pas toujours aisée fut menée à son terme. Apach devenait une des gares-bois les plus importantes de France pour ne pas dire la première.

 

Le 16 juin 1992, pour la circulation du 200 ième train complet de bois, une fête unique dans son genre fut organisée sur l’emplacement même où l’on chargeait les copeaux. Un vaste chapiteau y avait été dressé accueillant tous les agents de la gare et les nombreux invités concernés de loin ou de près par le trafic de bois.

 

   

Une gare attachante

  Ces quelques pages ne donnent qu’un faible éclairage de l’histoire de la gare d’Apach, une histoire qui dure depuis 125 ans ; une gare au passé bien particulier qui s’étire dans la pittoresque vallée de la Moselle, bordée de coteaux et de vignobles. Mais l’histoire de la gare est aussi celle de plusieurs générations de cheminots qui se sont succédé, qui ont aimé leur métier et l’ont exercé avec compétence et fierté dans des conditions souvent difficiles, conservant au fond d’eux des souvenirs qui sont autant d’anecdotes inédites.

 

L’atmosphère bruyante où l’odeur de graisse et de pétrole se mêlait aux  panaches de fumée des machines à vapeur comparée à celle plus silencieuse des machines électriques , de la signalisation automatique et des ordinateurs offre un contraste saisissant. La gare d’Apach a changé en même temps que le monde…

 

Et l’avenir ? Le mode de transport ferroviaire dispose d’atouts majeurs et fait l’objet de bien des réflexions de la part de nos gouvernants. On parle souvent du report des camions sur le rail, de la nécessité de soulager le réseau routier au profit  du réseau ferroviaire non saturé, d’encouragement au trafic transfrontalier et de développement des infrastructures à dimension européenne.

 

 Gageons que l’avenir de la  gare d’Apach, qui compte encore un effectif de 39 agents,  restera un maillon fort dans l’imposante chaîne des gares de la SNCF. Un avenir forcément bien différent de son passé.

  FRENTZ Édouard   

Photos : Musée Lorrain du Cheminot - L. COURTADE

 

 

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